Depuis la reprise et le vrai lancement de la marque, en 2000, le nom Louis Moinet a multiplié les apparitions. Hier encore, avec l'établissement d'un nouveau jalon de l'histoire du chronographe. La révélation du «compteur de tierces», créé entre 1815 et 1816 à fins d'observation astronomique et doté de performances inédites à son époque: mesure au 60e de seconde, haute fréquence de 216.000 vibrations par heure, fonction remise à zéro. Une énième réhabilitation pour l'horloger français Louis Moinet (1768-1853), qui fut entre autres proche d'Abraham-Louis Breguet, et dont l'oeuvre est toujours confidentielle. La marque elle-même est une création ex-nihilo, déposée dans les années 1990 sans être exploitée avant sa vente, en 2000, à Jean-Marie Schaller (Jurassien, 52 ans), actuel dirigeant et actionnaire majoritaire. Le contexte historique, la personnalité de Louis Moinet, son goût pour les traités, pour l'invention, sa proximité avec l'élite de son temps conditionnent les options stratégiques de la relance. Plus original, la marque cherche sa croissance (autofinancée) en s'appuyant sur deux approches. La distribution à travers les détaillants assure la base de près de 300 montres par an. La part flexible, qui peut monter à 200 pièces par an, est composée de produits très ciblés et écoulés sur le mode cadeau diplomatique, en Asie et au Moyen-Orient.
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La marque Louis Moinet, basée à Saint-Blaise (Neuchâtel), compte cinq collaborateurs (bientôt huit, avec l'arrivée d'un premier horloger) et se développe sur une base de 300 montres par an, un volume pouvant monter à 500 au gré des nouveautés - un élément directement lié à la stratégie de distribution duale. La marque couvre un segment très large, de 10.000 à 500.000 francs, avec un coeur d'activité sur deux piliers, les montres à 20.000 et à 200.000 francs, qui représentent plus de la moitié des ventes (en volume). Exclusivement de «l'art mécanique en série limitée», la production étant destinée aux collectionneurs et «amateurs de belle horlogerie». Le chiffre d'affaires n'est pas précisé, mais se situe à quelques millions de francs. L'objectif reste diffus: «Préserver l'esprit familiale de l'entreprise.» A terme, Jean-Marie Schaller estime pouvoir monter la production à un millier de pièces, mais «pas au-delà».
Le projet est d'emblée penser comme une sorte de laboratoire, entièrement basé sur la sous-traitance et libéré du fantasme de la manufacture intégrée, la production étant sous-traitée en Suisse à des constructeurs comme Concepto ou Exidel. Le lancement se fait à petite échelle, avec un premier capital-actions de 100.000 francs, financés par Jean- Marie Schaller et sa seconde épouse. Seconde étape de construction en 2007, avec l'entrée du holding familial Merse (Bienne), représenté par Sébastien Merillat. Le capital est alors augmenté à un million de francs - Jean-Marie Schaller reste majoritaire.
Un mot sur le parcours de Jean- Marie Schaller. Formation école de commerce. Un peu de marketing, un peu de publicité. Son parcours dans l'horlogerie commence chez le zurichois Siber Hegner (le «SH» de l'actuel DKSH), en qualité de responsable de projets. C'est l'époque où les grands noms de la nouvelle horlogerie commencent à émerger, comme Franck Müller ou Daniel Roth, que Siber Hegner accompagne à l'international.
Début 1990, crise du Japon, le groupe se retire des activités horlogères. Jean-Marie Schaller quitte Siber Hegner et reprend la direction des montres Perrelet, jusqu'en 1999. Une année sabbatique, puis il revient chez Lacoste Montres, en parallèle, il reprend Louis Moinet. En 2000, la marque se résume à une nécrologie dans le Panthéon biographique universel, Paris 1853. Jean-Marie Schaller a l'impression que l'affaire lui est prédestinée, une sorte de filage de circonstances balisé par Daniel Roth et Breguet. L'entrepreneur commence par réunir toute la documentation possible sur l'horloger Moinet et s'en inspire pour lancer des collections.
Les premières montres sont basées sur des mouvements vintage et des boîtes acier. Les développements, les complications et l'or arriveront avec le nouvel actionnaire, Merse holding, dès 2007. Au départ, pas de business plan ambitieux genre start-up: «Nous avons toujours ciblé la croissance organique. Nous n'avons jamais perdu de capital.» L'étape la plus décisive reste l'abordage de la distribution. «Trouver des solutions adaptées à nos besoins.» Jean-Marie s'accroche là encore à l'histoire et à la chance de développer une marque de «caractère néo-classique et associée à des figures historiques » (Napoléon, Thomas Jefferson, plusieurs rois, liste complète Wikipedia). Deux approches sont ainsi identifiées. Premièrement «la partie difficile» avec les détaillants horlogers traditionnels. Deuxièmement la clientèle institutionnelle, selon le crédo: «On ne peut pas se permettre d'être une marque commerciale. ». Des chefs d'Etat, rois, sultans, du Moyen-Orient ou d'Asie, qui sont ainsi servis avec des produits ciblées pas pays et calibrés cadeaux diplomatiques. Genre modèle intégrant de la météorite d'Oman ou du palmier fossilisé de Malaisie. Entrées privilégiées dans les palais du grand monde. Les commandes peuvent dépasser la centaine de pièces. C'est ce qui fait la vraie différence de volume d'une année à l'autre.
Pour la base de l'affaire, soit près de 300 montres par an, la marque reste adossée aux détaillants traditionnels, avec une trentaine de points de vente et un réseau en remaniement permanent. La Russie et le Moyen-Orient comme sweet spots. Et quelques white spots, en particulier l'Europe et la Suisse.