Tempo moderato pour maestri horlogers

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Perspectives 2024
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Les anticipations boursières ne trompent pas. Avec un recul de plus de 20% sur les six derniers mois, les titres des ténors de la branche sanctionnent la fin de l’euphorie horlogère

Il est des séquences numériques que font chaud au cœur. Celle qui commence par 17, suivi par 22, 25 et 27 en fait clairement partie. Replacé dans son contexte, cette progression des exportations horlogères suisses en milliards de francs à partir de 2020, année frappée par la pandémie du Covid, démontre une envolée qui a pris tout le monde de court. Avec des taux de progression de 31% (2021), 12% (2022) et encore 7% à 8% l’an dernier, selon les anticipations basées sur les 11 premiers mois 2023, nouvelle année record, on est largement au-delà du phénomène de rattrapage. En d’autres termes, depuis la sortie du Covid, les maisons horlogères ont nagé en pleine euphorie et ce, au moins jusqu’à mi-2023. Faut-il pour autant tirer la sonnette d’alarme au vu d’un contexte économique de plus morose, marqué par une persistance de l’inflation, des taux d’intérêt élevés et des moteurs conjoncturels passablement grippés, notamment en Chine ?

Selon le dernier rapport de Mercury Project, qui recense non pas les exportations mais les ventes de détail effectives aux clients finaux sur les principaux marchés, « la fête n’est pas terminée ». Sur les dix premiers mois 2023, les chiffres consolidés par Mercury « montrent une croissance positive prolongée ». La progression actuelle n’a certes plus le relief de celle enregistrée avant la pandémie, elle ne s’inscrit pas moins à des niveaux historiquement enviables. C’est exactement ce qu’est venu confirmer le groupe Richemont, dont les résultats trimestriels clos à fin décembre 2023 font état d’une croissance des ventes de 8% à taux de change constants pour atteindre € 5,6 milliards. Sur neuf mois, la hausse est de 11% pour un groupe qui campe sur € 7 milliards de liquidités, en hausse de 23% ! 

Un atterrissage en douceur

Même si, aux taux change actuels, les ventes trimestrielles des Maisons horlogères ressort à -1%, toutefois compensée par la joaillerie (+6%), dans le contexte actuel, cette annonce du groupe Richemont a été saluée comme il se doit. Au-dessus des attentes, ces résultats se sont traduits, en ouverture de séance boursière, par un bond de près de 10% sur les titres de la compagnie qui accusaient la veille un recul de 25% sur six mois. Un tel revers sur les marchés financiers n’est toutefois pas l’apanage du groupe Richemont. Pratiquement tous les ténors du luxe ont été dernièrement sanctionnés en Bourse. A mi-janvier, les performances sur le semestre écoulé de LVMH, Kering et Swatch Group accusaient toutes une chute de plus de 20%. Seul Hermès (-6%) et Movado (+2%) tiraient à peu près leur épingle du jeu. En sachant que tous les événements connus d’une multinationale sont inclus dans ses cours qui évoluent par anticipation, cette tendance baissière donnent clairement le ton.

Avec une euphorie boursière qui appartient au passé, il semble bien que l’horlogerie se dirige vers une « normalisation » de ses activités. Est-elle bienvenue ? En termes d’emplois, avec un secteur horloger qui a dépassé en 2023 la barre de 65'000 collaborateurs en Suisse (+7,3%), un seuil qui n’avait plus été atteint depuis un demi-siècle, il ne fait pas de doute qu’une croissance plus mesurée permettrait de faire baisser la pression. Sur les marchés, en revanche, on est loin de la surchauffe, si bien que cette progressive accalmie conjoncturelle est plutôt vécue comme un frein. Tout espoir n’est de loin pas perdu, si l’on en juge par le potentiel de croissance de certains marchés, notamment la Chine. Si les exportations horlogères suisses vers l’empire du Milieu ont été en hausse de l’ordre de 8% l’an dernier, elles accusent encore un retard de 6% par rapport à 2021. Idem en ce qui concerne les flux touristiques. On est encore très loin des 155 millions de voyageurs chinois qui, en 2019, ont dépensé $ 255 milliards à l’étranger. C’est plutôt de bon augure. Mais en tout état de cause, avec une croissance en passe de revenir dans sa moyenne historique, l’horlogerie suisse se dirige vers un atterrissage en douceur réussi.