Au cœur de Venise, où l’art et l’artisanat convergent, l’exposition biennale Homo Faber invite les visiteurs à explorer la relation profonde entre les humains et leurs expressions artistiques. 2024 marque la troisième édition de l’exposition qui a eu lieu pour la première fois en 2018. L’exposition Homo Faber est organisée, au sein du magnifique monastère fondé en l’an 982 de notre ère sur la petite île de San Giorgio Maggiore, par la Fondation Michel-Ange. Elle entretient des liens étroits avec les maisons du groupe de luxe Richemont qui apportent un large soutien institutionnel aux artisans indépendants et aux marques bien établies réunies pour l’événement. Chaque édition a son propre thème et celui de cette année tournait autour du Voyage de la vie (The Journey of Life), avec 10 espaces conçus pour explorer toute les étapes comme la naissance et l’enfance, l’amour ou la vie après la mort.
Le titre apparemment évident aborde en fait le rôle, important et souvent négligé, que jouent l’art et les objets artisanaux dans notre vie. La robe de baptême en dentelle d’un enfant transmise de génération en génération, la soupière en porcelaine occupant une place de choix dans le vaisselier de la salle à manger d’un grand-parent, le jeu d’échecs gravé à la main avec lequel on a appris à jouer selon les règles, les flûtes à champagne en cristal utilisées pour porter un toast lors d’un mariage… Ces objets ont une grande importance émotionnelle dans nos vies et, par extension, dans celles des créateurs qui leur ont consacré du temps, du travail et du savoir-faire. Nous ne le réalisons peut-être pas, mais ces artisans invisibles font autant partie de notre vie que les oeuvres qu’ils ont produites.
Tout cela relève du concept de contenu latent : une information dont on dispose de manière éparse, sans y pensez ou peut-être sans avoir eu l’idée d’associer les éléments de cette manière. On pourrait dire que c’est l’équivalent cognitif d’un kit de pièces Lego, ou de composants de montre, non assemblé.
À Homo Faber où la dimension mécanique était en retrait, les marques horlogères participantes ont fait beaucoup d’efforts pour mettre en valeur le savoir-faire et l’artisanat contenus dans leurs produits. C’est un moyen courant d’exprimer son identité que l’on observe dans des maisons comme Piaget, en particulier à travers ses fameuses techniques de fabrication de bracelets. Des établis ont été installés dans l’espace d’exposition et des artisans maison, venus de Genève, ont pu montrer aux visiteurs le travail complexe que requiert un bracelet en maille milanaise ou un bracelet à décor Palace.
Van Cleef & Arpels, dont les montres à Complications Poétiques ont rendu la marque synonyme de fantaisie romantique, a présenté à Homo Faber une de ses pendules spectaculairement ingénieuses, attirant des foules admiratives tout au long de la journée. Levant légèrement le voile sur les secrets qui rendent les créations de la marque aussi uniques, les artisans de Van Cleef & Arpels ont utilisé de puissantes caméras pour expliquer la technique de l’emblématique Serti Mystérieux, qui permet d’obtenir une surface ininterrompue de pierres précieuses, sans griffes visibles.
Les créations en émail de Jaeger-LeCoultre sont depuis longtemps plébiscitées par la communauté des passionnés d’horlogerie mais, pour beaucoup de visiteurs d’Homo Faber, il s’agissait d’une première expérience de la maîtrise que la marque exerce dans cet art décoratif séculaire. En hommage à la ville hôte d’Homo Faber, et en clin d’œil au Festival du film de Venise dont elle a été partenaire officiel de 2005 à 2020, Jaeger-LeCoultre a dévoilé trois montres Reverso agrémentées de reproductions en émail grand feu de peintures de Venise signées Monet.
Préserver des techniques ancestrales va de soi pour une marque née en 1755 comme Vacheron Constantin qui, lors de cette édition d’Homo Faber, a décidé de mettre en valeur ses compétences en matière de restauration de montres. Montblanc a mis l’accent sur ses instruments d’écriture et le rôle joué par ces outils finement réalisés dans le processus créatif. Contrairement à son habitude de mettre en avant l’ingénierie et l’expertise mécanique, IWC a choisi de braquer les projecteurs sur la dimension manuelle de son approche horlogère. Même une marque comme Officine Panerai, connue pour ses montres robustes et utilitaires, a participé à l’exposition : elle a apporté son style industriel en collaborant avec Thebackstudio pour une installation lumineuse (les fans de Panerai seront immédiatement capables de faire le lien entre la marque et les solutions d’éclairage, étant donné son utilisation historique de matériaux luminescents).
La nature même de l’art est de nous inciter à adopter des perspectives différentes, à mener nos réflexions sur de nouvelles voies. En bref, l’art est le meilleur moyen de développer son esprit et d’enrichir sa vie. Il est formateur, c’est un puissant facteur de changement. Et même si je n’ai aucune qualification professionnelle ou universitaire en psychologie, je suis tout à fait convaincue que l’imperméabilité à l’art engendre un épanouissement personnel limité. Avant d’être accusée d’élitisme culturel, j’aimerais souligner que l’art peut s’exprimer de différentes manières et que je ne soutiendrai jamais que quelqu’un est intellectuellement peu évolué simplement parce qu’il n’est pas sensible à Mona Lisa. On peut percevoir de l’art dans un passage musical évocateur, dans la palette de noirceurs d’un film de science-fiction dystopique ou dans la délicatesse d’un pétale de fleur en céramique, façonné à la main et cuit au four. (Attention : cela ne veut pas dire que j’ai touché une des superbes pièces exposées à Homo Faber.)
À présent, il devrait être parfaitement clair que l’art, le talent et l’esprit artisanal sont indissociables de l’expérience globale de la vie. À Homo Faber, ils ne font qu’un : célébrer l’artisanat, c’est célébrer la vie.
