Certains mariages surprennent. Par exemple, celui de l’artiste français Hervé Di Rosa avec l’horloger Laurent Ferrier. Le premier est un baroudeur né, le verbe haut « avé l’assent » du Sud, aussi fort en gueule que haut en couleur, citoyen du monde ayant habité aussi bien au Vietnam qu’au Cameroun, en Bulgari qu’au Brésil, et partageant maintenant son temps entre Lisbonne, Paris et sa ville natale de Sète. À l’opposé, Laurent Ferrier, de près de 15 ans son aîné, la parole douce et rare, d’une sobriété à toute épreuve et d’une discrétion qui n’a d’égale que son affabilité.
Comment ces deux-là se sont-ils liés ? La réponse tient en deux mots : Olivier Servanin. Il est fils du cofondateur de Laurent Ferrier et ami de 40 ans de l’horloger, François Servanin. Olivier Servanin est collectionneur des œuvres de Di Rosa et a mis en lien son artiste préféré avec la manufacture codétenue par son père.
Ce curieux attelage s’était donné rendez-vous ce 19 juin au Centre Pompidou, à Paris. Hervé Di Rosa y est gratifié de plusieurs espaces d’exposition à la (dé)mesure de ses créations bigarrées. Comment l’univers pop-art et détonnant du peintre pouvait-il s’incarner au sein d’une montre Laurent Ferrier, paroxysme du luxe discret, tout en retenu et en maîtrise ? La réponse est celle d’un Galet Micro-Rotor dont le cadran reproduit « le maître du temps et se reproduit à travers l’éternité ». Le motif en est issu d’une gravure sur bois aperçue chez l’artiste, reprise au sein de son concept de « Diromythologie ». Laurent Ferrier a donc expurgé l’univers de Di Rosa de ses couleurs, de son exubérance, pour n’en garder que la trame, fut-ce celle d’un personnage à 12 bras nommé « Ah ! Ah ! Ah ! ».
L’exécution du cadran a été confiée à la graveuse Jeanne Valentine Ulrich des Cadraniers de Genève. Il s’agit d’une applique en or, gravée main, fixée sur le cadran. La boîte est celle du Galet, un format de 40 mm auquel le maître horloger reste très attaché. Le mouvement en est largement éprouvé, avec son micro-rotor et surtout son échappement naturel où ce n’est plus l’ancre qui donne son impulsion au balancier, mais la roue d’échappement, au bénéfice d’un meilleur rendement et d’une réserve de marche portée à 72h.
Le mariage des deux univers n’était pas acquis, tant le fossé est béant entre la sagesse retenue de Ferrier et l’excentricité débridée de Di Rosa. L’édition limitée à 5 pièces – dont celle que porte l’artiste, soit 4 exemplaires restants pour le public – confirme que la montre se destine à une audience ultra restreinte.
Di Rosa n’est pas un artiste mainstream. Durant la présentation de ses œuvres au centre Pompidou, l’homme ne s’est pas caché « détester faire cet exercice », alors qu’il y prenait un plaisir manifeste. Affûté sur les questions contemporaines (droits d’auteur, IA), élu en 2022 à l’Académie des Beaux-Arts, il navigue entre passages obligés du monde des arts et liberté de ton absolue. Di Rosa cultive son indépendance. Travaille en famille. Se sacrifie aux nécessités médiatiques et mondaines, mais n’aime rien d’autre que la solitude de son atelier. Autant de traits qui, in fine, sont aussi ceux de Laurent Ferrier.
