Gautier Massonneau, à l’origine de Trilobe en 2018, tourne avec nous les pages de ses multiples références architecturales et littéraires. Une occasion idéale, grâce à ce lecteur invétéré et fils d’architectes, de briller un peu plus en matière de culture – non il n’y a pas que les influenceurs et le sport dans la vie ! Décodage de modèles aux références hors normes qui ont su faire leur place dans le paysage horloger.
Pourquoi un tel lien entre Trilobe et les arts ?
Ce lien créatif est fondamental. Toute mon inspiration vient de la culture qui m’entoure : l’architecture, la littérature, la musique, la gastronomie… l’art au sens large du terme. Paris, où je vis, offre un environnement très dense et inspirant à ce niveau-là. Par ailleurs, mes parents m’ont apporté un bagage culturel en architecture. Enfin, je lis beaucoup, et de tout. Ensuite, je tisse facilement des liens.
Trilobe assume ce pas de côté, non par snobisme, mais pour montrer ce qui nous anime : l’envie de poétiser le rapport au temps, de créer de l’art et du beau.
Ces affinités artistiques s’expriment déjà dans votre nom, Trilobe.
Il s’agit d’un symbole fort, en clin d'œil à mes parents. La naissance de cette forme remonte à la construction de la mosquée de Cordoue. Le trilobe est ensuite devenu un vrai pilier transculturel. Par ailleurs, j’aurais trouvé présomptueux de baptiser cette marque de mon propre nom, car nous la construisons à plusieurs. Toute l’équipe peut s’identifier à ce nom « parapluie ».
Le trilobe se distingue par sa symétrie, un principe fort de vos montres.
Tout à fait, sa forme triple, porteuse de sens, représente les heures, les minutes et les secondes. En contrepoint, nos pièces affichent aussi des principes d’asymétrie, par exemple avec un cadran toujours excentré.
En quoi votre premier calibre, le X-Centric, s’inspire-t-il de l'architecture brutaliste ?
Contrairement à une construction de mouvement souvent ronde, avec un train de rouages en arc de cercle, ce calibre se construit dans des lignes droites de verticales et d’horizontales. Ces grandes lignes de fuite créent un effet visuel fort qui évoque l’architecture brutaliste, aux ressorts identiques.
Même si la mécanique (mise au point par le Cercle des Horlogers) doit être irréprochable – notre originalité nous a valu plusieurs défis supplémentaires – ce calibre tient avant tout lieu d’échafaudage et soutient l’esthétisme et la beauté.
N’est-ce pas ironique qu’un objet raffiné tel qu’un calibre haut de gamme évoque un courant architectural à l’esthétique parfois discutable ?
Ce qui est intéressant, c'est la philosophie derrière : la recherche d'épure et d'une certaine simplicité dans la construction visuelle. Ces principes compliquent la démarche, et cet aspect m’intéresse. Par ailleurs il existe de très belles réalisations brutalistes, même si certaines ont moins bien vieilli.
« Les Matinaux », « Nuit Fantastique », « Une Folle journée » : vos montres possèdent des noms littéraires. A quel moment se crée le lien entre la montre et le livre ?
En termes de création, le concept de la montre précède ce lien. J’adore imaginer de nouvelles façons de voir le temps, et sa mécanique. Pour moi, il s’agit de l’aspect le plus amusant de la marque. J’ai beaucoup de choses à raconter, et ce vecteur est fantastique ! Nous avons dix à quinze ans de projets en réserve.
Pourquoi avoir baptisé votre montre inaugurale « Les Matinaux » ?
Elle reflète parfaitement notre patte : une invitation à voir les choses différemment, à être le premier à faire les choses autrement. Dans la « Rougeur des matinaux », René Char a écrit : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront ». Il s’agit vraiment de notre ADN.
Quant à « Nuit Fantastique », en quoi évoque-t-elle la nouvelle de Stefan Zweig ?
Ce texte parle d’un riche viennois, au siècle dernier, s'ennuyant profondément jusqu’à ce qu’il découvre une femme incroyable, et que renaissent la passion et l'amour. Le récit invite à remettre une certaine excitation dans sa vie et à voir les choses différemment.
Dans la montre, cela se traduit de façon assez simple. Dépourvue d’aiguilles, elle est d’une pureté absolue. L’affichage des minutes et des secondes se fait via le rehaut. Cette autre vision du temps rompt avec les habitudes.
J’ai vécu au Japon, et mon séjour a certainement influencé cette recherche de sobriété. Au contact de cette culture, j’ai appris que le fait « d’ôter » permet de « recréer du beau », exactement comme le dit cette phrase de Saint-Exupéry: « La perfection est atteinte non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer ». Pour moi, il s’agit de toute une philosophie qui s’exprime dans « Nuit Fantastique ».
« Une Folle Journée », votre troisième montre, exprime en revanche plutôt de l’exubérance !
Tout à fait, ces montres possèdent des personnalités très différentes. « Une Folle Journée » laisse de la place à la créativité pour « éclater » en trois dimensions – un exercice d’ailleurs plutôt difficile.
Le lien avec Beaumarchais, auteur du « Mariage de Figaro, Une folle journée », est très intéressant. Il fut d’abord horloger avant de devenir dramaturge. Sa comédie invite à s'opposer aux codes de son temps pour les reformuler différemment. Nous le faisons d'un point de vue horloger.
Y a-t-il un genre littéraire en particulier que vous souhaiteriez exprimer dans une montre ?
Oui, la science-fiction ! Il y a quelques années, j’ai découvert « Le problème à trois corps » de Liu Cixin, avant même qu’il ne soit décliné sur Netflix. L’histoire est très, très perchée, ce que je trouve extraordinaire ! Je m’en inspire pour créer des référentiels et des univers autres. D’ailleurs, nos projets à venir comptent quelques pièces farfelues et même un peu folles.
