Dans les dédales de couloirs de la manufacture Vacheron Constantin dont l’architecture signée Bernard Tschumi demeure aussi contemporaine – voire futuriste – qu’au premier jour, le département Patrimoine a pris ses quartiers dans un discret petit bureau pareil à une fenêtre ouverte sur le passé. Ici, tous les regards et toutes les conversations convergent vers un même sujet : l’héritage extraordinaire de la plus ancienne manufacture horlogère au monde sans interruption d’activité depuis 1755. Son patrimoine d’une incroyable richesse est émaillé de créations d’une audace folle, sur lesquelles Vacheron Constantin a apposé sa signature en plaçant la technique au service de l’élégance. Au sein du département Patrimoine, la longue histoire de la Manufacture est minutieusement documentée grâce aux registres anciens, aux correspondances d’époque sur papier jauni ou aux pièces ressurgies des oubliettes dans les ventes aux enchères.
Deux siècles d'affichages spéciaux
Les affichages spéciaux ont fait leur apparition en horlogerie dès le 18e siècle, par le biais des heures sautantes. Chez Vacheron Constantin, la toute première pièce à heures sautantes remonte au tout début du 19e siècle, à 1824 très précisément. Il faudra attendre un peu plus de 100 ans pour que la créativité de la Maison s’exprime à travers les affichages rétrogrades. En 1927, la Manufacture en fait usage sur une superbe pendulette soigneusement conservée dans les collections de Vacheron Constantin. Habillé d’or jaune, d’onyx, de cristal de roche et de lapis-lazuli, cet objet unique réalisé en collaboration avec Verger Frères arbore une esthétique Art déco, animée par un mouvement huit jours à affichage rétrograde des heures sur le pourtour de sa structure en forme d’éventail.
À cette époque, les Années folles battent encore leur plein et c’est un vent d’audace qui souffle sur l’horlogerie. En 1930, Vacheron Constantin s’empare de cette liberté et crée une montre de poche qui servira d’inspiration à de nombreux autres modèles au fil du siècle, puisque cette dernière illustre parfaitement l’étendue des possibilités esthétiques permises par les affichages spéciaux. Surnommée montre « bras en l’air », cette pièce unique également conservée par le département Patrimoine présente un magicien chinois en or gravé et émaillé dont les bras indiquent, à la demande et sur pression d’un poussoir à 10 heures, les heures et les minutes sur deux arcs de cercle gradués et positionnés de part et d’autre du cadran.
De Don Pancho à Mercator
En 1940, une pièce devenue mythique et depuis surnommée Don Pancho, du nom de son commanditaire, sort des ateliers de Vacheron Constantin. Il aura fallu quatre années pour la développer et la produire. Rétrospectivement, ce modèle figurant dans les registres de la Maison est l’une des trois seules montres de poignet connues et produites avant 1940 réunissant une répétition minutes et des indications calendaires, avec aiguille rétrograde. Aurel Bacs, le célèbre commissaire-priseur de Phillips qui avait mis cette pièce aux enchères en 2019, ne tarissait alors pas d’éloges à son sujet : « Elle constitue une prouesse technique et un chef-d’oeuvre du génie humain. La combinaison d’une répétition minutes et d’un calendrier avec date rétrograde n’avait jamais été vue auparavant et il aura fallu attendre près de 60 ans pour voir quelque chose de similaire. » Les raisons de cette mise en sourdine de la créativité horlogère ? La Seconde Guerre mondiale, évidemment, puis la crise du quartz dans les années 1970, deux périodes noires qui n’auront pas empêché l’horlogerie de reprendre des couleurs à la fin du siècle dernier.
Dans les années 1990, alors que l’horlogerie mécanique renaît de ses cendres, pour le plus grand plaisir des collectionneurs, on assiste à un retour des affichages spéciaux si chers à Vacheron Constantin. Première pièce marquante de cette décennie, la montre Mercator dévoilée en 1994 dans deux différentes versions pour célébrer les 400 ans de la mort du fameux géographe du 16e siècle. Les designers de la Manufacture s’inspirent clairement des montres « bras en l’air » des années 1930 pour proposer un double affichage rétrograde des heures et des minutes traînantes via des aiguilles en forme de compas, positionnées de manière très originale à 12 h. De quoi métamorphoser le cadran en un large espace d’expression pour les Métiers d’art. Pour créer ces deux modèles, Vacheron Constantin avait alors fait l’acquisition d’un atlas publié en 1587 par Gérard Mercator, le premier homme à avoir cartographié le monde, et en avait reproduit les cartes en émail miniature ou en gravure sur les cadrans. Deux pièces magnifiques, illustrations parfaites de la capacité de Vacheron Constantin à ne jamais sacrifier l’esthétique sur l’autel de la technique.
Classic with a twist
Trois ans plus tard, en 1997, Vacheron Constantin fait à nouveau preuve d’audace avec une autre pièce de choix. Surnommée Saltarello, cette édition limitée en or jaune de forme coussin propose un affichage par heures sautantes et minutes rétrogrades sur un cadran guilloché argenté soleil. Une montre à l’esprit « Classic with a twist », signature de la Manufacture. Depuis le tournant du siècle, Vacheron Constantin s’est illustrée à plusieurs reprises dans le domaine des affichages rétrogrades. La référence 47245 présentée en 2000, pour les 245 ans de la marque, possédait une date rétrograde doublée d’un affichage des jours classique via un sous-compteur à 6 h. Six ans plus tard, la référence 86020 s’imposera comme la première montre-bracelet double rétrograde jour-date de Vacheron Constantin. La montre anniversaire des 260 ans, en 2015, affichait quant à elle une date rétrograde et un chronographe à rattrapante à double aiguille rétrograde. Une démonstration technique dans le plus pur style de la Manufacture, entre audace créative et élégance horlogère, mécanique de précision et raffinement discret. Autant de caractéristiques que l’on retrouve tout au long de la longue histoire de cette maison séculaire dont le département Patrimoine conserve les plus belles réalisations comme autant de trésors inspirants.