Interview avec Cyrille Vigneron

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Cyrille Vigneron © Cartier
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Le visionnaire aux commandes du poids lourd de Richemont depuis 2016 a répondu aux questions d’une poignée de journalistes durant Watches and Wonders

Le site Cartier classe les montres en 12 collections, pensez-vous que certaines présentent un potentiel encore sous-exploité ?

Toutes. En fonction des périodes, une collection peut révéler un attrait plus ou moins fort. Avec ses mouvements de manufacture dans des boîtiers de forme, la collection Cartier Privé a connu un redéploiement spectaculaire. Idem pour la Baignoire Bangle qui a vécu un retour en grâce incroyable. On voit de plus en plus de petites Baignoire portées par des hommes, reflétant un point de fluidité très juste, dans l’air du temps. C’est un phénomène universel.

Les icônes ne sont pas le fruit de notre décision, mais du choix des clients. Notre patrimoine est riche, une grande partie reste à revisiter. Toutefois, nous pouvons choisir de conserver ces icones telles qu’elles étaient à l’origine, ou de les retravailler. Nous gardons pour cela toujours à l’esprit la vision de Louis Cartier, et sa notion « d’idées mères », avec de nombreuses variantes dans la généalogie, comme par exemple dans la collection Tank : Tank Anglaise, Américaine ou Française qui ont déjà fait l’objet d’évolutions. En parallèle, il reste les Tank Asymétrique, Tank Cintrée ou Tank à Guichet que l’on peut reconsidérer avec des éléments spécifiques pour Cartier Privé, ou maintenir telles quelles. Idem pour les collections Santos et Santos-Dumont ou encore pour la Panthère.

Santos Rewind © Cartier
Santos-Dumont Rewind © Cartier

Comment s’opère ce processus créatif ?

Notre créneau, c’est l’élégance au sens large. Tout commence par le design au service duquel se met ensuite la technique. Cartier s’appuie sur un comité de création organisé par lignes de produits pour développer les designs et les techniques associées. En amont, nous avons construit ces collections en réalisant un grand travail de filtrage: quels modèles résistent au passage du temps et comment se défi- nit le style Cartier de manière collective ? Est-ce un modèle ou une famille, comme Santos ou Santos-Dumont? A-t-on besoin d’autres couleurs ou matières, de styles plus ou moins masculins ou féminins, sans préjuger de qui les portera de manière à ce que chacun y voit son interprétation ? Aujourd’hui Cartier est plus clair sur son identité, et plus audacieux. Il y a des créations que nous n’aurions pas osées il y a 8 ans, mais les clients reconnaissent immédiatement la touche distinctive de Cartier.

En 2024, notre intention est de travailler sur toutes les formes, renforçant ainsi l’identité de Cartier. Cela peut se traduire par des ajustements simples sur les cadrans et les bracelets, des rééditions avec Cartier Privé, comme la Tank Américaine, ou encore des explorations créatives avec Cartier Libre, où nous avons la liberté de transgresser nos propres codes.

« Notre patrimoine est riche, une grande partie reste à revisiter. »

Cartier Privé Tortue Monopoussoir Chronograph © Cartier
La Tortue Chrono Monopoussoir a été redessinée avec une taille de boîte plus fine et une forme plus proche de celle des années 1910, ce qui a nécessité de réinventer le mouvement pour le faire entrer dans ce boîtier © Cartier

Comment définiriez-vous la nouveauté dans cette approche ?

La durabilité du style est un élément important. Il y a une dizaine d’années, on pen- sait souvent que l’innovation en termes de design était primordiale. Or, les marques qui ont le plus progressé au cours de la dernière décennie ne sont pas nécessairement celles qui ont introduit les designs les plus radicaux. Elles sont restées claires ou ont progressivement clarifié leur position. Ceux qui aiment une marque vont parfois acheter leur modèle préféré chaque année, dans une proposition différente. Ainsi, la créativité du style et la durabilité du modèle s’avèrent déterminants. Par extension, il faut que le style soit apprécié par toutes les générations : c’est le cas de la Santos-Dumont qui s’intègre harmonieusement dans les familles et favorise la continuité.

Quel est le rôle du prix dans cette équation ?

Cartier est basé en Suisse, ce qui implique des coûts de production élevé en raison du franc suisse fort et d’une utilisation substantielle de l’or. Cela nous a conduit à des ajustements de prix inévitables surtout au cours des dernières années. Par ailleurs, Cartier se caractérise dans l’horlogerie de luxe par un positionnement de prix plutôt accessible, avec une offre à partir de CHF 3’000.-. Nous constatons que de nombreuses marques ont défini leur gamme de prix au-delà de CHF 20’000.-, et que sur la fourchette entre CHF 10’000.- et CHF 20’000.- se trouve une clientèle aisée qui estime que ces autres marques sont devenues un peu trop chères. Il y a une certaine magie à vendre l’acier au prix de l’or, c’est une nouvelle alchimie en Suisse ! Or, il existe bien une demande pour que la valeur perçue soit réaliste. Enfin, nous observons un intérêt grandissant pour les modèles plus précieux en or, pour les modèles joailliers ou avec des complications, entre CHF 10’000.- et CHF 50’000.-. L’appétence pour le très haut de gamme progresse globalement partout.

Cartier Privé Tortue Watch © Cartier
Cartier Privé Tortue © Cartier

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