L’annonce de votre retour à la tête de Jaeger-LeCoultre l’automne passé a surpris tout le monde, comment s’est prise la décision ?
Le plus naturellement du monde : je suis allé voir le CEO et le chairman de Richemont en leur faisant part de mon intérêt pour la Maison, et ils ont accepté ma proposition. Après sept ans de mission corporate à la direction de Richemont, je commençais à ressentir d’autres aspirations. Les équipes d’une Maison telle que Jaeger-LeCoultre me manquaient, de même que ce contenu créatif très important et l’émotion qu’elle génère.
Qu’est-ce qui a principalement changé dans la marque par rapport à la dernière fois que vous en étiez CEO, en 2013 ?
Je distinguerais trois éléments : les métiers de la manufacture sont devenus encore plus pointus, leur maitrise des métiers rares s’est accentuée et c’est heureux car c’est autour d’eux que tourne le concept de la manufacture. La culture des grandes complications s’est également amplifiée, portée par l’esprit de l’Hybris Mechanica. Enfin, le retail est entré dans une nouvelle dimension avec une soixantaine de boutiques dans le monde, permettant une intensification de la relation avec nos clients finaux.
Et dans l’horlogerie ?
En tant que CEO de Richemont, il y avait bien sûr beaucoup d’interactions et de suivi avec les marques. Durant cette période, la relation avec les personnes attirée par notre branche s’est modifiée du fait de l’essor des réseaux sociaux qui en ont élargi le spectre. Les Maisons s’adressent à plus de monde qu’avant et peuvent travailler sur les affinités qu’elles sont capables de proposer, la création des contenus et la résonance autour de leurs valeurs destinées à des communautés sensibles aux montres partout dans le monde.
Votre réseau de boutiques va-t-il évoluer de manière significative ?
Pas en nombre, mais sans doute en taille de boutiques. Cette tendance déjà observée permet de proposer une meilleure expérience de la Maison avec plus de contenus et d’expériences, qu’il s’agisse des Ateliers d’Antoine, des espaces d’accueil ou de mise en avant des accessoires, et d’augmenter les échanges avec les clients et leur satisfaction.
Quelles sont vos priorités pour cette année ?
Quand j’ai quitté Jaeger-LeCoultre en 2013, mon amour de cette Maison était absolu mais je ne savais pas pourquoi. Après avoir été CEO d’autres Maisons et analysé les perspectives d’autres marques avec du recul, j’ai vraiment compris pourquoi. Je suis convaincu par nos points de différenciation qui sont très forts et qu’il convient de souligner. Or, nous avons la chance d’avoir une année remarquable avec la Reverso, donc la priorité consiste à présenter ses fondamentaux.
Comme nous nous adressons à plus de monde qu’avant, cela se fait aussi moins en profondeur, mais ce sont pourtant les points de profondeur significatifs qu’il faut mettre en avant, afin de percevoir l’inventivité de nos collections et de pousser notre culture horlogère. Les réseaux sociaux attirent l’attention sur l’esthétique, mais il convient d’expliquer la technicité et le savoir-faire nécessaires pour obtenir de tels résultats et performances dans un volume aussi réduit que celui d’une Reverso.
Nos éléments de signature incarnent la culture horlogère, et nous devons prendre le temps de la partager, car ce sont des marqueurs de notre manufacture. Quelle autre Maison a conçu 1400 calibres en près de deux siècles et dispose de 180 métiers sous un même toit ? Ce savoir-faire n’est pas donné à tout le monde, à nous de l’expliquer.
Jaeger-LeCoultre présente à Watches & Wonders une vingtaine de nouvelles Reverso dans tous les styles, quelle est la volonté derrière cette impressionnante diversité ?
Le caractère de la Reverso est infiniment exceptionnel et reflète la diversité de notre Maison. Elle a 94 ans et 50 mouvements ont été conçus pour elle, dont 14 actuellement en collection. En s’intéressant à ses expressions fondamentales depuis ses origines, nous nous sommes rendu compte à quel point elle pouvait être protéiforme et liée au génie de la Manufacture. Très peu de montres possèdent ce don d’exister en tant que pièce absolument moderne et fonctionnelle, ou pièce de haute horlogerie, ou pièce de style ou pièce joaillière. Dans le petit club des icônes, très peu ont la capacité à faire vivre les complications et grandes complications autant que la Reverso. Prenez notre nouvelle Répétition minutes, c’est en observant l’optimisation de l’espace et de la répartition des composants dans son boîtier de seulement 12 mm d’épaisseur que l’on saisit notre culture horlogère. Nos horlogers se challengent, leur quête de précision et leur énergie teintée de déraison raisonnable nous poussent très loin dans l’inventivité et la créativité horlogère.
Par ailleurs vous présentez une Reverso « Or Déco »…
La réflexion était là stylistique, en partant d’un bracelet qui devait fonctionner avec la Reverso. Or, le bracelet milanais revêt une précision visuelle qui correspond à notre esprit de l’horlogerie. En l’intégrant dans notre or 5N, nous avons réalisé que la matière s’avérait tellement présente qu’elle devait créer un continuum entre le bracelet, le cadran et le boîtier. Nous avons choisi un grainé profond, joué avec des index brillants, avons ajouté de la fonctionnalité avec un système ajustable à toutes les tailles de poignet, permettant à un couple de partager cette Reverso de seulement 7,5 mm d’épaisseur au rendu esthétique époustouflant, et qui a vite trouvé son surnom d’Or Déco.
Quel est le principal défi de la Manufacture ?
Les trois éléments clé de la manufacture sont l’œil, la main et le cœur, qui s’appliquent à tous nos recrutements et représentent bien la diversité des métiers, comment ils évoluent ensemble et contribuent à faire de la manufacture ce qu’elle est aujourd’hui. La passion que nous avons pour l’horlogerie est contagieuse, mais la culture horlogère s’est un peu étiolée et nous devons nous montrer plus pédagogues, afin d’expliquer notre art. Nous sommes dépositaires d’un patrimoine et notre défi consiste à transformer ce savoir en émotion. La consistance dans l’expression de notre Maison ou de ses savoir-faire et, finalement, sa capacité à résister au temps sont aussi liées au fait que nos 180 métiers soient sous un même toit. Un métier va nourrir l’autre : guillocheur, émailleur, sertisseur, designer, horloger… leurs différentes inspirations sont catalysées, garantissant cette émotion supérieure et son caractère absolu. Sur les 6500 personnes qui travaillent dans l’horlogerie à la Vallée de Joux, 20 sont capables de réaliser des grandes complications, 3-4 des grandes sonneries et seulement 3-4 par an. Notre mission consiste à expliquer ce savoir-faire exceptionnel, notre profondeur horlogère et notre sens du dépassement qui font que le concept de l’Hybris est consubstantiel de l’esprit de Jaeger-LeCoultre.
