Christophe Persoz

La majeure partie du temps ce sont les possibilités techniques qui guident un projet entre la table à dessin et sa réalisation. J'ai toujours eu en admiration les horlogers qui osent tenir leur longue-vue à l'envers et considérer d'abord le résultat qu'ils comptent obtenir avant d'envisager les solutions pour y parvenir. Cette façon d'appréhender le développement d'un nouveau produit conduit très souvent à utiliser des techniques, des technologies ou des matériaux innovants dont la légitimité est alors indiscutable.
De nos jours, il est admis et enseigné que le temps est une notion continue et linéaire. Cependant, de séculaires contraintes techniques ont établi la lecture de l'heure de manière circulaire (rotation des aiguilles). En 1959, Louis Cottier dépose le brevet d'une montre affichant heures et minutes linéairement par l'utilisation de cylindres. Hélas seul un prototype verra le jour jusqu'à ce que Martin Frei et Felix Baumgartner décident de rendre hommage à Monsieur Cottier en se réappropriant l'idée. Afin de réaliser et commercialiser un tel produit, toute la conception a été intégralement repensée, améliorée et fiabilisée.
Trois années de développement plus une année de tests auront été nécessaires pour mener à bien ce défi. Deux cylindres affichent respectivement heures et minutes. Une des difficultés majeures rencontrée lors de l'utilisation d'un tel système d'affichage consiste à mouvoir ceux-ci de manière régulière. Pour y parvenir, une triple came (en béryllium) a été conçue pour transmettre l'énergie du mouvement (plan horizontal) aux deux cylindres (plan vertical). Un segment denté réalisé en silicium (légèreté et rigidité) assure cette fonction intermédiaire. Lorsque le cylindre des minutes arrive au marqueur des 60 minutes, un fin ressort extraplat le rappelle à sa position d'origine en un mouvement rétrograde qui, par là même, entraine le cylindre des heures d'un pas (heure sautante).

La transmission de l'affichage des secondes demeure conventionnelle (pivot vertical), mais la traditionnelle aiguille a été ici remplacée par un disque offrant une lecture digitale des secondes. Tous les chiffres pairs des secondes apparaissent simultanément dans un guichet, alors qu'une spirale centrée double la lecture linéairement. Fabriqué par procédé photolithographique ce disque (équilibré) ne pèse que 0.09g!!! La King Cobra est donc motorisée par un mouvement entièrement développé pour ce modèle. Ce nouveau calibre à remontage automatique bénéficie d'une innovation visant à réduire l'impact des chocs violents sur le rotor. Une hélice couplée à ce dernier assure un rôle de frein pneumatique baptisé «rotor fly brake» et visible sur le flanc de la montre.

Le design de la King Cobra, selon l'aveu même de Martin Frei, a été inspiré par une Volvo datant des années cinquante. Très cohérent puisque les véhicules de cette décennie étaient souvent équipés de compteurs kilométriques linéaires. De plus, la jeune marque abandonne pour la première fois le système d'affichage d'heure satellitaire qui a fait son succès, en réussissant à résoudre la difficile équation qui consiste à évoluer tout en conservant l'identité forte de la marque. Seules 25 unités en or gris et titane et 25 autres en or noir et titane seront produites. Jamais avant la UR-CC1 n'a-t-on eu envie de laisser un King Cobra s'enlacer fermement à notre poignet et si d'aventure vous en étiez mordu… cela n'aura que des conséquences heureuses.
