Printemps 2025, 14 heures passées de quelques minutes (semaine horlogère oblige). Me voilà assise face à Denis Flageollet et nous sirotons un café bien corsé – signature gastronomique des rendez-vous chez la marque sainte-crix. Aujourd’hui, l’horloger me présente le chronographe monopoussoir DB8 XS, nouvelle itération d’une complication phare de la marque, dans un diamètre de 40 mm. Pour mémoire, les deux premiers modèles de De Bethune, en 2002, étaient des chronographes, dont le DB8 originel, en 44 mm – et bien d’autres ont suivi.

Qui dit chronographe dit précision. Comment la mesurer ? Denis Flageollet explique son approche: «les normes et certifications se limitent à l’analyse de 5 à 7 positions figées. Et pourtant, les technologies d’aujourd’hui pourraient permettre bien plus. Les normes servent l’industrie. En revanche, pour ceux qui veulent aller plus loin, elles se transforment en freins.» En guise d’illustration, l’horloger raconte comment, lorsqu’il a souhaité inscrire sa première montre à tourbillon, le DB25T Regulator Tourbillon (2011), au Concours de Chronométrie, sa soumission a été refusée. Motif ? La cage doit obligatoirement tourner en 1 minute. «Alors que mon tourbillon à haute fréquence tournait en 30 secondes, ce qui est plus fiable et précis!» Une drôle d’anecdote, ubuesque, révélatrice de sa vision de l’art de la mesure du temps, en-dehors des habitudes et facilités de l’industrie. Une approche qui se vérifie dans l’ensemble de son travail, lui qui ne considère rien pour acquis, ni les mécanismes, ni les matériaux, ni l’esthétique, ni même le client final, pour des montres d’une richesse extrême.
Une nouvelle vision de la précision
Dans son ouvrage «Alchimie Horlogère» (Editions Favre, 2022) Denis Flageollet souligne la nécessité d’actualiser les perspectives de la chronométrie: «Le défi majeur est de poser les jalons d’une nouvelle génération de montres mécaniques, plus performantes et mieux adaptées à la vie d’aujourd’hui. […] la montre bracelet est soumise à des sollicitations importantes de plus en plus diversifiées […Par ailleurs] une forme de routine [a] sclérosé le développement horloger […] passé à côté des nombreux progrès effectués dans les autres technologies ».

Si l’horlogerie penche parfois vers un certain conservatisme, De Bethune s’en soucie finalement peu, suivant sa propre trajectoire. Fin 2022, un nouveau chapitre s’ouvrait en matière d’exactitude avec le «Sensoriel Chronometry Project». Pendant deux semaines, l’acquéreur porte une montre test qui récolte jusqu’à 2 millions de données par heure. Celles-ci permettent un réglage fin personnalisé, basé sur l’utilisation réelle du porteur — loin des moyennes théoriques n’existant finalement que sur une machine. Un bulletin personnalisé, fourni avec la pièce, détaille les données qui ont servi au réglage. «Ce qui m’importe est la plus-value pour le client, qui bénéficie ainsi d’un réel service sur-mesure» précise l’horloger. Ce concept est disponible à la demande – mais limité à 5 montres par an, en raison du temps nécessaire à la réalisation des réglages.

Vers le spiral du futur
Pour améliorer encore la chronométrie, un obstacle majeur persistait: les tests liés au spiral – composant-clé en matière de précision. «Tous les fournisseurs produisent les mêmes spiraux. A l’heure actuelle, il est ainsi très compliqué de faire varier leur épaisseur de quelques microns. Or, je souhaite tester d’autres sections» explique Denis Flageollet. «C’est pourquoi nous mettons en place notre propre fabrication de spiraux, en termes d’alliages, mais aussi de sections qui me paraissent plus adaptées à l’optimisation de la chronométrique.» Un nouveau champ de recherche pour cet horloger qui défie encore une fois les normes devrait ainsi prochainement s’ouvrir. Et, d’une certaine façon, dans sa quête de précision, Denis Flageollet redonne à la montre mécanique son âme d’exploratrice.